(Togo First) – Passionnée, perfectionniste et visionnaire, Mablé Agbodan incarne la femme togolaise aux multiples talents. Spécialisée dans le design de luxe, elle est directrice d’une galerie et d’une boutique en ligne.
«Motivée par cette rage de changer les choses et d’aider ses frères et sœurs togolais », celle qui est lauréate de la catégorie féminine de « ARTS, SPORTS ET CULTURE » ouvre en Août 2016 le Club des Métiers d’Arts et d’Artisanat du Togo. Ce club qui vise à renforcer les capacités des artisans togolais est surtout un formidable créneau qui doit servir à rehausser le niveau de l’artisanat togolais et à le rendre plus attractif et compétitif. Mais, elle a surfé sur des vagues avant d’en arriver là. Nous sommes allés à sa rencontre. Découvrons ensemble cette dame au cœur d’or.
T.F : Vous résidiez en Occident où tout se passait bien pour vous au travail et en affaires. Mais vous avez décidé de rentrer au bercail. Qu’est-ce qui vous a motivée ?
M.A : On dit souvent qu’on n’est toujours mieux servi que chez soi ou qu’on se sent toujours mieux chez soi. J’ai toujours dit que les Européens ont construit leur pays et que c’est à nous de construire l’Afrique. Ceci étant, j’aimerais bien apporter ma pierre.
T.F : Quelles sont, de votre point de vue, les mesures à mettre en œuvre pour permettre aux artisans togolais d’abord de révéler tout leur potentiel et ensuite de pouvoir jouir du métier ?
M.A : Je pense que le chemin est encore très long. L’artisanat africain a encore du chemin à faire. Dans la réalité actuelle, on est artisan quand on n’arrive pas à exceller à l’école ou quand on ne veut pas aller à l’école du tout ou quand on n’a pas d’autres alternatives. La preuve : pour les apprentissages, il y en a qui se donnent carrément aux patrons. C’est-à-dire qu’ils n’ont même pas de quoi payer les frais de contrat. Donc, ils font leurs années d’apprentissage et des années supplémentaires pour pouvoir payer par leur travail, le coût du contrat. Une sorte d’échange de services. Ce dont l’artisanat africain a besoin dans un premier temps, c’est la sensibilisation.
Mais à mon niveau, avec mes moyens limités, je compte offrir aux jeunes de mon centre, des aptitudes linguistiques notamment en anglais. Je pense négocier avec l’ambassade des Etats Unis une formule pour leur permettre de bénéficier de cours d’anglais. Comme chacun d’entre eux dispose d’un compte bancaire, j’envisage également de leur offrir des conditions d’accès à des prêts bancaires pour qu’ils puissent se procurer un véhicule. Mon objectif est de leur faire prendre conscience de ce que leur métier, l’artisanat, a du prix et qu’ils peuvent en vivre.
T.F : Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire au niveau institutionnel afin justement de mieux développer cet artisanat ?
M.A : Penser à moderniser le secteur en donnant des outils pratiques à l’artisan afin de le stimuler. Eveiller chez les artisans la créativité.
T.F : En termes de standard, comment évaluez-vous le niveau de l’artisan aAfricain par rapport à celui européen, vu que vous avez eu à travailler avec eux ?
M.A : L’artisan africain est incapable de faire certaines choses pour la simple raison qu’il ne sait pas le faire et qu’il n’en a pas les moyens. La culture ne l’aide pas non plus parce qu’on lui a appris à être un exécutant et non un leader. L’artisan africain est limité, conditionné, il n’a pas les ressources pour aller plus loin et sa culture ne lui permet pas de s’exprimer. Ce qui est tout le contraire de l’Européen.
T.F : Comment arrivez-vous à financer le développement du club des métiers de l’artisanat ?
M.A : C’est assez difficile actuellement et j’en profite pour lancer un appel à toutes les bonnes volontés, en premier lieu à l’Etat afin de nous aider et de nous soutenir. Faire en sorte que ce centre ne soit pas le premier et le dernier. J’ai commencé avec les moyens du bord. La principale source de financement provient de mes propres fonds que j’ai économisés pendant mes dix ans d’activité et je pense, je le dis d’ailleurs souvent à mes artisans, que si on ne trouve pas rapidement le moyen de vendre nos réalisations, le trou dans lequel on puise l’argent risque de se tarir (rires…).
T.F : Allant dans ce sens, qui sont vos débouchés ? Vos produits sont destinés à qui ?
M.A : J’aimerais vendre à tout le monde mais on ne peut pas plaire à tout le monde. Je travaille aujourd’hui dans le luxe et mes premiers clients sont en Europe. Mes produits sont de haute gamme et sont destinés à une certaine classe sociale : des footballeurs, des designers, bref des gens de la haute… Toutefois l’objectif est de pouvoir essayer de vendre à des gens issus de la classe moyenne africaine et de continuer à vendre à mes profils de clients actuels.
T.F : Est-ce que vous avez des problèmes de mévente ou des difficultés liées à la vente ici ?
M.A : Oui, des problèmes liés au désintérêt des gens et leur rebut compte tenu du prix. Beaucoup s’intéressent aux produits mais ne les achètent pas.
T.F : Pourquoi les produits sont-ils donc chers ?
M.A : Nous passons énormément de temps sur la création des produits. Nous ne le faisons pas dans la précipitation ; nous passons du temps sur la conception, le design et tout… C’est la raison pour laquelle nos produits sont peu accessibles.
T.F : Vous avez franchi un palier avec la création de ce centre. Quel sera le prochain cap ?
M.A : Mon rêve est d’avoir une université des métiers. Le Club des Métiers d’Arts et d’artisanat du Togo est un rêve que je nourrissais depuis et il s’est finalement réalisé. Je suis passé par de nombreuses étapes. Depuis mes débuts et tout au long de mes nombreux déplacements, j’ai nourri l’idée de la création un jour d’un institut africain des métiers créatifs (rires…). J’ai commencé sur la terrasse de ma sœur et aujourd’hui j’en suis là. La prochaine étape, si j’arrive à trouver un centre à Kara et Dapaong, est de créer un vrai centre de formation des artisans. Un lieu d’apprentissage où on va exiger un certain niveau de qualification avant d’y accéder.
Interview réalisée par Fiacre E. Kakpo, Séna Akoda et Ahlonko Octave Bruce
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